Les microsporidies sont des champignons intracellulaires ubiquitaires dont plus de 1200 espèces ont été décrites. Parmi celles-ci, au moins 15 espèces différentes ont été montrées comme capables d’infecter l’Homme [1]. Néanmoins, chez l’Homme, on rencontrera principalement Enterocytozoon bieneusi et le genre Encephalitozoon spp. Ces espèces, principalement responsables d’atteintes intestinales, ne sont pas spécifiques de l’Homme et sont retrouvés chez d’autres animaux, pouvant constituer un réservoir. Enterocytozoon bieneusi est présent chez un grand nombre de vertébrés, dont les animaux sauvages (oiseaux, renards, lapins…) et domestiques (porcs, bovins, oiseaux, chiens, chats). Plus de 200 génotypes différents de cette espèce ont été identifiés, certains n’étant retrouvés que dans des groupes spécifiques d’animaux, et d’autres étant isolés à la fois chez l’Homme et l’animal, suggérant un potentiel zoonotique [2]. Chez les oiseaux on rencontrera notamment Encephalitozoon hellem, mais aussi Encephalitozoon cuniculi et plus rarement Encephalitozoon intestinalis, ces 3 espèces pouvant infecter l’Homme. Encephalitozoon intestinalis et E. cuniculi ont également été retrouvés chez le chien, le chat, les bovins et les porcs. Encephalitozoon cuniculi est quant à lui très fréquemment isolé chez les lapins domestiques.
Les microsporidies sont largement connues pour les infections et les épidémies qu’elles ont engendrées chez les patients atteints par le VIH avant l’arrivée des trithérapies antirétrovirales. En effet, jusqu’à 70% des patients atteint par VIH présentant des diarrhées chroniques souffraient de microsporidioses. Depuis la trithérapie, ce nombre de cas a considérablement chuté dans les pays à fort niveau socio-économique. Néanmoins, les microsporidioses atteignent également les autres patients immunodéprimés (transplantés d’organe, cancers), en particulier les transplantés rénaux, mais également les individus immunocompétents (voyageurs, enfants, diabétiques, personnes âgées). Bien que peu de données existent sur la prévalence des microsporidioses dans la population humaine, des travaux ont montré que 8% des donneurs de sang allemands et 5% des femmes enceintes françaises possédaient des anticorps dirigés contre Encephalitozoon spp. [3]. Plus récemment, des chercheurs Tchèques ont montrés que 10% des individus sains présentaient des anticorps dirigés contre E. bieneusi [4]. Néanmoins, très peu de données sont disponibles sur l’épidémiologie actuelle des microsporidioses humaines, en particulier chez l’immunocompétent. Les microsporidioses intestinales sont les plus fréquentes, impliquant notamment E. bieneusi (90% des cas) et E. intestinalis (≈10%). Bien que la dose infectieuse nécessaire pour infecter l’Homme ne soit pas clairement connue et probablement varie selon les espèces et les contextes, le nombre de spores d’E. bieneusi éliminées lors de diarrhées chez un patient immunodéprimé peut atteindre 4,4.108 spores/ml [5]. Alors qu’E. bieneusi semble rester localisé à l’intestin et aux voies biliaires, E. intestinalis est capable de disséminer par voie hématogène et engendrer des atteintes extradigestives (rénales, pulmonaires). Ces localisations extradigestives pourront également être causées par d’autres espèces du genre Encephalitozoon spp., mais également par d’autres genres [1].
La contamination se fera principalement par ingestion d’eau ou d’aliments contaminés. La présence de microsporidies capables d’infecter l’Homme a été montrée dans les eaux d’irrigation, les rivières (notamment dans la Seine) mais aussi dans des eaux de baignade. L’eau a notamment été suspectée d’être à l’origine d’une épidémie en 1995 dans la ville de Lyon [6]. Des épidémies liées à la consommation d’aliments souillés ont également été suspectées. En effet, certaines études menées en Egypte, au Costa Rica ou encore en Pologne ont montré la présence de microsporidies certains crudités et fruits. En Corée, du lait contaminé a aussi été mis en évidence [7]. La consommation d’aliments contaminés, tout comme l’eau, a été associée à la survenue d’épidémies [8]. Parmi les microsporidies retrouvées dans les eaux de boisson et les aliments, on retrouve notamment E. bieneusi et Encephalitozoon spp. Leur origine reste difficile à déterminer du fait de la grande variété des réservoirs animaux. La transmission interhumaine directe de ces espèces, notamment au sein des communautés homosexuelles masculines, est également fortement suspectée. Enfin, certaines espèces rares retrouvées chez les insectes et parfois impliquées dans des infections humaines, comme Anncaliia algerae, Tubulinosema sp. ou Trachipleistophora sp. posent également la question de la place des insectes dans leur transmission à l’Homme.
La symptomatologie digestive associée aux microsporidioses est semblable à celles coccidioses intestinales, dont la cryptosporidiose. Enterocytozoon bieneusi est le plus souvent impliqué, le reste des cas étant essentiellement provoqué par E. intestinalis. Les diarrhées sont caractérisées par une émission de 2 à 10 selles aqueuses et non-sanglantes par jour. Ces diarrhées deviennent chroniques chez les patients immunodéprimés alors que la symptomatologie régressera spontanément chez les individus immunocompétents. Chez les patients atteints par le VIH, la fréquence des microsporidiose augmente au fur et à mesure que le taux de lymphocytes T CD4 chute, la plupart des cas étant diagnostiqués pour des patients présentant moins de 50 CD4/mm3. Enterocytozoon bieneusi et E. intestinalis sont capables d’infecter les voies biliaires, pouvant être responsables d’une cholangite sclérosante. En l’absence de prise en charge, les diarrhées aboutissent chez les patients immunodéprimés à une perte de poids et une déshydratation.
La principale symptomatologie engendrée par les microsporidies est intestinale. Les localisations extra-intestinales sont beaucoup moins fréquentes et atteignent essentiellement les patients immunodéprimés [1].
L’atteinte oculaire se manifestera soit par une kératite stromale profonde, soit par une kératite ponctuée superficielle, associées à une conjonctivite. L’uvée et la sclère pourront parfois être touchées. L’atteinte peut être uni ou bilatérale. Chez les patients immunodéprimés, E. hellem est l’espèce la plus fréquemment rencontrée, mais E. cuniculi et E. intestinalis ont également été à l’origine de kératites. Des cas chez des patients immunocompétents sont également rapportés, notamment en Inde et à Singapour avec l’espèce Vittaforma corneae. Pour les infections impliquant Encephalitozoon spp., la contamination serait principalement d’origine endogène suite à une dissémination. Pour V. corneae, la contamination ferait suite à un contact avec un substrat contaminé (eau, terre) ou un traumatisme oculaire. Par ailleurs, comme pour les autres kératites infectieuses, le port de lentilles de contact constitue un facteur de risque important.
Les atteintes génito-urinaires impliquent principalement le genre Encephalitozoon spp. Ces localisations font suite à la dissémination des microsporidies et peuvent être responsables de néphrites interstitielles, d’urétrites, de cystites ou encore de prostatites. Des cas de pneumopathies ou de sinusites microsporidiennes sont également décrits. Même si le genre Encephalitozoon spp. est principalement responsable de ces cas, E. bieneusi a également été impliqué. Les atteintes cérébrales sont également possibles, en particulier par le genre Encephalitozoon spp. et plus rarement par Trachipleistophora anthropopthera. Les lésions engendrées par les microsporidioses cérébrales pourront parfois avoir un aspect similaire celui d’une toxoplasmose cérébrale, qui constituera le principal diagnostic différentiel. Les microsporidies sont également capables d’infecter le système musculosquelettique. En effet, des cas de myosites, et même d’endocardites, ont été décrits à plusieurs reprises. Différentes espèces ont été impliquées : Pleistophora ronneafiei, Pleistophora sp., Trachipleistophora hominis, Tubulinosema spp., Endoreticulatus spp. E. cuniculi, Anncaliia vesicularum et A. algerae. De rares cas de lésions cutanées se manifestant par des nodules, des papules ou macules ont étés rapportés (Encephalitozoon sp., Tubulinosema acridophagus). Enfin, des infections disséminées atteignant la quasi-totalité des organes ont été décrits, principalement suite à une infection par le genre Encephalitozoon spp.
Microsporidioses intestinales : Un prélèvement de selles avec recherche de microsporidies sera réalisé chez les patients immunodéprimés présentant des diarrhées aigües ou chroniques. Les microsporidies peuvent également être responsables de diarrhées chez les patients immunocompétents, qu’ils aient voyagé ou non.
Localisations extradigestives : Le prélèvement réalisé sera fonction de la localisation suspectée (urines, lavage bronchiolo-alvéolaire, grattage cornéen …).
Les méthodes microscopiques restent délicates et requièrent un bon niveau d’expertise du fait de la petite taille des spores, en particulier d’E. bieneusi (≈1-2 µm). Celles-ci sont réalisées sur un frottis de selles après fixation. Les colorations trichromiques (Weber) permettent de colorer les spores en rose sur un fond vert, mais sont parfois difficiles à lire du fait de la coloration d’autres éléments en rose. Les colorations utilisant des agents fluorescents (Uvitex® 2B, Calcofluor) marquant la chitine permettent d’améliorer nettement la sensibilité du diagnostic [1,2]. Sur tissus, les microsporidies peuvent aussi être visualisées par l’utilisation colorations courantes (May Grunwald Giemsa, Hématoxyline Eosine…). L’avantage des colorations évoquées précédemment est de permettre la détection de l’ensemble des genres microsporidiens. En revanche, ces techniques ne permettent pas l’identification spécifique des espèces en cause. Un réactif commercial d’immunofluorescence permet la détection et l’identification des 2 espèces les plus fréquemment responsables d’infections intestinales, E. bieneusi et E. intestinalis, grâce à l’utilisation d’anticorps monoclonaux [3].
Différentes techniques d’amplification génique par PCR conventionnelle ont été décrites et permettent notamment d’identifier après séquençage les espèces impliquées (indispensable pour le choix du traitement) [4]. En effet, du fait de la grande diversité génétique des microsporidies, il n’existe pas de PCR en temps réel permettant de détecter l’ensemble des espèces susceptibles d’infecter l’Homme. En revanche, pour le diagnostic des microsporidioses intestinales, il existe des techniques de PCR en temps réel « maisons » ou commerciales permettant de détecter E. bieneusi et E. intestinalis [5-7].
Le traitement des microsporidioses intestinales inclura une réhydratation orale ou intraveineuse et une prise en charge symptomatique des diarrhées. Les traitements anti-microsporidiens ne permettront pas une guérison complète des patients immunodéprimés, chez qui une restauration de l’immunité sera indispensable, notamment afin d’éviter les rechutes qui sont relativement fréquentes. Chez les patients atteints par le VIH, l’instauration du traitement antirétroviral et la restauration de l’immunité cellulaire tiendra un rôle central dans la guérison. Chez les patients recevant des immunosuppresseurs, une réévaluation des doses d’immunosuppresseurs sera discutée. Chez les patients immunocompétents sans signe de gravité, une simple prise en charge symptomatique pourra suffire, l’infection évoluant favorablement de façon spontanée.
L’utilisation de molécules anti-microsporidiennes nécessitera au préalable l’identification de l’espèce responsable de l’infection afin de proposer un traitement adapté :
La prise en charge des kératites associera un traitement topique et systémique. Différentes associations ont été décrites dans la littérature mais il n’existe pas de recommandations. Les molécules qui semblent présenter la meilleure efficacité sont de nouveau l’albendazole et la fumagilline [9]. Chez les patients immunocompétents atteints par V. corneae, l’infection semble guérir spontanément en quelques jours dans la majorité des cas [10]. Chez les patient immunodéprimés, l’infection poursuivra son évolution sans prise en charge thérapeutique. La place de la kératoplastie reste discutée.
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